La France parmi les démocraties européennes a la passion du sauveur, avec parfois des bons résultats (1958), et parfois pas du tout (1940). Elle a pourtant fonctionné, de 1871 à 1958, sans « sauveur » mais avec des hommes d’état en dialogue avec le Parlement. Reconnaissons qu’elle n’est pas le seul pays a céder à ce penchant.
Au lieu de freiner ce penchant, ce qui aurait été un choix tout à fait légitime, la Constitution de la Véme République l’a amplifié, surtout avec la refonte de 1962 et l’élection du Président au suffrage universel.
Cette élection a doublement déséquilibré le système, à la fois par le poids donné au Président, et par la mise en place du « fait majoritaire » qui l’a accompagné sur la plupart du temps depuis 1962.
Ce déséquilibre est encore aggravé par les media contemporains, qui valorisent les figures « disruptives », « fortes » et conflictuelles. Et qui savent se mettre en scène. (voir D Trump) D’où le succès par exemple de J Bardella.
Ce déséquilibre est devenu toxique, et une raison de cet empoisonnement est l’arrivée au pouvoir d’une génération qui manque de références, de culture et de vécu historique : en raison de cela, elle ne sait pas pondérer les risques liés aux institutions. L’élection présidentielle est devenue le seul référent, le seul objectif. Au lieu d’être une exception, le sauveur a été institutionnalisé.
La dissolution, aussi mal avisée ait elle été, peut être un point de bascule :
Soit elle semble conforter le fonctionnement du système, le pouvoir restant au Président de la République appuyé sur un ensemble « central » élargi par des ralliements venus tant de sa droite que de sa gauche. C’est son calcul -quoi qu’il en dise -qui le replace en sauveur et en maitre du jeu. Ce sera évidemment une illusion car ce que pourra faire l’ensemble ainsi constitué sera un plus petit dénominateur commun.
Soit elle fait tomber le système vers un fonctionnement plus parlementaire. On peut imaginer une vision très optimiste avec une majorité serait plus orientée à gauche. Pas gagné, car cela impose une double concession : que LFI accepte ce qu’ils assimilent pour le moment à une trahison, et que la gauche du centra accepte de travailler avec un « extrême ». Aussi peu probable qu’il soit, ce scénario aurait la vertu d’instituer une alternance et d’échapper au faux dilemme du centre ou du chaos (qui, on l’a vu, conduit au centre ET au chaos)
On peut aussi avoir une issue moins optimiste, et qui semble plus probable à ce jour : des alliances au cas par cas, en fonction des projets présentés. Cela aussi donner l’illusion au Président qu’il est maître du jeu, mais pour de bien faibles résultats.
Première étape le choix du (de la ?) Président (e) de l’Assemblée. Il donnera évidemment une indication de quel côté bascule la majorité. Mais il serait bien trop facile d’en tirer des conclusions pour la suite, ne serait-ce parce l’impulsion viendra à un moment donné du Président de la République quand il désignera un premier ministre.
La vie du sauveur restera bien compliquée, et la nôtre aussi